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mardi 17 octobre 2023

La lune se montrait - Chateaubriand


Dans les déserts du Nouveau monde.

1- Nuit indienne.

1ère Partie - L 7 Chapitre 6

Nous avançâmes vers Niagara. Nous n’en étions plus qu’à huit ou neuf lieues, lorsque nous aperçûmes, dans une chênaie, le feu de quelques sauvages, arrêtés au bord d’un ruisseau, où nous songions nous-mêmes à bivaquer. Nous profitâmes de leur établissement : chevaux pansés, toilette de nuit faite, nous accostâmes la horde. Les jambes croisées à la manière des tailleurs, nous nous assîmes avec les Indiens, autour du bûcher, pour mettre rôtir nos quenouilles de maïs.

La famille était composée de deux femmes, de deux enfants à la mamelle, et de trois guerriers. La conversation devint générale, c’est-à-dire entrecoupée par quelques mots de ma part, et par beaucoup de gestes ; ensuite chacun s’endormit dans la place où il était. Resté seul éveillé, j’allai m’asseoir à l’écart, sur une racine qui traçait au bord du ruisseau.

La lune se montrait à la cime des arbres : une brise embaumée, que cette reine des nuits amenait de l’Orient avec elle, semblait la précéder dans les forêts, comme sa fraîche haleine. L’astre solitaire gravit peu à peu dans le ciel : tantôt il suivait sa course, tantôt il franchissait des groupes de nues, qui ressemblaient aux sommets d’une chaîne de montagnes couronnées de neige. Tout aurait été silence et repos, sans la chute de quelques feuilles, le passage d’un vent subit, le gémissement de la hulotte ; au loin, on entendait les sourds mugissements de la cataracte de Niagara, qui, dans le calme de la nuit, se prolongeaient de désert en désert, et expiraient à travers les forêts solitaires.

C’est dans ces nuits que m’apparut une muse inconnue : je recueillis quelques-uns de ses accents ; je les marquai sur mon livre, à la clarté des étoiles, comme un musicien vulgaire écrirait les notes que lui dicterait quelque grand maître des harmonies.

2- Une auberge en Amérique, ...et une nuit dehors.

Dans les terrains les meilleurs s’établissaient des bourgades.

La flèche d’un nouveau clocher s’élançait du sein d’une vieille forêt. Comme les mœurs anglaises suivent partout les Anglais, après avoir traversé des pays où il n’y avait pas trace d’habitants, j’apercevais l’enseigne d’une auberge qui brandillait à une branche d’arbre. Des chasseurs, des planteurs, des Indiens se rencontraient à ces caravansérails : la première fois que je m’y reposai, je jurai que ce serait la dernière.

Il arriva qu’en entrant dans une de ces hôtelleries, je restai stupéfait à l’aspect d’un lit immense, bâti en rond autour d’un poteau : chaque voyageur prenait place dans ce lit, les pieds au poteau du centre, la tête à la circonférence du cercle de manière que les dormeurs étaient rangés symétriquement, comme les rayons d’une roue ou les bâtons d’un éventail. Après quelque hésitation, je m’introduisis dans cette machine, parce que je n’y voyais personne. Je commençais à m’assoupir, lorsque je sentis quelque chose se glisser contre moi ; c’était la jambe de mon grand Hollandais ; je n’ai de ma vie éprouvé une plus grande horreur. Je sautais dehors du cabas hospitalier, maudissant cordialement les usages de nos bons aïeux. J’allai dormir, dans mon manteau, au clair de lune : cette compagne de la couche du voyageur n’avait rien du moins que d’agréable, de frais et de pur.

1ère Partie, LIVRE VII, ch. 6  - Départ pour la cataracte de Niagara avec un guide hollandais. Hospitalité. – Lit. – Serpent à sonnettes enchanté. – Cataracte de Niagara.

!ère Partie, LIVRE VII. ch. 6 - Départ pour la cataracte de Niagara avec un guide hollandais. Hospitalité. – Lit. — Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe, 1848.

lune - Chateaubriand - hospitalité - lit commun - romantisme - solitude


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<>08/01/2024

Soyez donc Bossuet ...dans la mémoire d´un oiseau - Chateaubriand

Soyez donc Bossuet, pour qu’en dernier résultat votre chef-d’œuvre survive, dans la mémoire d’un oiseau, à votre langage et à votre souvenir chez les hommes ! 

 <> Mélancolie sur la fin d´une civilisation.

 > Ne cherchez plus en Amérique les constitutions politiques artistement construites dont Charlevoix a fait l'histoire : la monarchie des Hurons, la république des Iroquois. Quelque chose de cette destruction s'est accompli et s'accomplit encore en Europe, même sous nos yeux ; un poète prussien, au banquet de l'ordre Teutonique, chanta, en vieux prussien, vers l'an 1400, les faits héroïques des anciens guerriers de son pays : personne ne le comprit, et on lui donna, pour récompense cent noix vides. Aujourd'hui, le bas-breton, le basque, le gaëlique meurent de cabane en cabane, à mesure que meurent les chevriers et les laboureurs.

Dans la province anglaise de Cornouailles, la langue des indigènes s'éteignit vers l'an 1676. Un pécheur disait à des voyageurs : " Je ne connais guère que quatre ou cinq personnes qui parlent breton, et ce sont de vieilles gens comme moi, de soixante à quatre-vingts ans ; tout ce qui est jeune n'en sait plus un mot. "

Le dernier curé franco-gaulois.

◊ Des peuplades de l’Orénoque n’existent plus ; il n’est resté de leur dialecte qu’une douzaine de mots prononcés dans la cime des arbres par des perroquets redevenus libres, comme la grive d’Agrippine gazouillait des mots grecs sur les balustrades des palais de Rome. Tel sera tôt ou tard le sort de nos jargons modernes, débris du grec et du latin. Quelque corbeau envolé de la cage du dernier curé franco-gaulois dira, du haut d’un clocher en ruine, à des peuples étrangers, nos successeurs : “Agréez les accents d’une voix qui vous fut connue : vous mettrez fin à tous ces discours”.

Soyez donc Bossuet, pour qu’en dernier résultat votre chef-d’œuvre survive, dans la mémoire d’un oiseau, à votre langage et à votre souvenir chez les hommes ! Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe, 1848. [1]

 1-  Mort des langues indiennes -  I, Livre VII, ch. 10, édition de La Pléiade, tome I, p. 250.

 <> La référence à Bossuet.

 > Les accents du cygne. (Génie du Christianisme)

Nous avions cru pendant quelque temps que l'oraison funèbre du prince de Condé, à l'exception du mouvement qui la termine, était généralement trop louée ; nous pensions qu'il était plus aisé, comme il l'est en effet, d'arriver aux formes d'éloquence du commencement de cet éloge qu'à celles de l'oraison de Madame Henriette ; mais quand nous avons lu ce discours avec attention ; quand nous avons vu l'orateur emboucher la trompette épique pendant une moitié de son récit et donner comme en se jouant un chant d'Homère ; quand, se retirant à Chantilly avec Achille en repos, il rentre dans le ton évangélique et retrouve les grandes pensées, les vues chrétiennes qui remplissent les premières oraisons funèbres ; lorsque après avoir mis Condé au cercueil il appelle les peuples, les princes, les prélats, les guerriers au catafalque du héros ; lorsque, enfin, s'avançant lui-même avec ses cheveux blancs, il fait entendre les accents du cygne, montre Bossuet un pied dans la tombe et le siècle de Louis, dont il a l'air de faire les funérailles, prêt à s'abîmer dans l'éternité, à ce dernier effort de l'éloquence humaine les larmes de l'admiration ont coulé de nos yeux et le livre est tombé de nos mains. Chateaubriand, Génie du christianisme, 1802.

Commentaire :

Ces lignes  sont une des plus justes et des plus belles évocations qui soient de la France d’après la France, et du changement de peuple.

Hélas, je crains qu’il n’y ait plus guère de curés franco-gaulois, et que la mémoire de nos oiseaux ne fasse pas beaucoup de place à Bossuet… Pour les clochers en ruine, en revanche, et ne rien dire des peuples étrangers, nous n’aurons aucun mal à assumer la prédiction.— Renaud Camus, Journal de 2013.

Tout ce qui avait été élaboré de génération en génération par un long mûrissement s’efface, se dissipe, comme le souvenir d’un autre univers.

Le changement de peuple implique nécessairement le changement de civilisation, et il faut une conception bien basse de l’homme, ou bien vaniteuse de la nation, pour croire qu’avec des hommes et des femmes d’autres cultures, d’autres civilisations, on peut, avec d’autres visions du monde, garder la même histoire. — Renaud Camus, Entretien avec Sébastien de Crèvecœur, 17 mars 2019.

Les petits bourgeois ahuris de la télé réalité, scotchés à leur portable peuvent-ils encore comprendre Chateaubriand, Bossuet, Homère ?

>> René Pommier : Le Vieux Corbeau et l'Aigle de Meaux,   Assez décodé !

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<> 20/10/2023

 

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