Crédulité
— Élucubrations occultes
Extrait des Souvenirs du Baron de Gleichen.
Miroir
magique
◊ Le duc de Nivernois m'a assuré avoir vu un
écrit du temps de Catherine de Médicis, qui donnait le détail de ce qu'elle
disait avoir vu dans un miroir magique, dans lequel un célèbre astrologue, dont
j'ai oublié le nom, lui montrait la succession et le sort des rois de France.
Ceux qui
ont été assassinés, comme Henri III et Henri IV, ont paru percés des poignards
qui les ont frappés; les autres rois, quoique pas nommés, étaient
reconnaissables, ou par quelques marques, ou par un dauphin intermédiaire qui
apparaissait sans couronne. La durée du règne de ces rois était marquée par les
différences de la durée de leurs apparitions. Par le nombre de leurs dauphins
on parvenait distinctement à celui qui désignait Louis XV.
C'est du
vivant de ce monarque que M. de Nivernois m'a parlé de cette pièce curieuse, et
il m'a dit alors qu'elle finissait de la manière suivante, qu'après Louis XV il
ne s'est plus montré qu'un seul roi; et Catherine, interrogée par l'astrologue,
sur ce qu'elle voyait encore, elle répondit: je ne vois plus rien qu'un tas de
rats et de souris qui s'entre-dévorent. Comme on venait de s'apercevoir que les
fondements de Versailles étaient minés par ces animaux, nous appliquions alors
cette image prophétique à la possibilité que ce grand château pourrait bien
s'écrouler sous le règne prochain. — Baron de
Gleichen, Souvenirs, éd. 1868.
Confluent
de sang
◊ Une ancienne prophétie
qui existait à Lyon disait, que le sang coulerait dans les rues, quand le Rhône
et la Saône se trouveraient réunis dans l´hôtel de ville. Or, ce bâtiment est
si élevé au-dessus du lit de ces fleuves qu´il aurait fallu une inondation
presque incroyable pour les faire arriver jusque-là.
Cette prophétie s´est pourtant accomplie en
1793 d´une manière assez singulière. Lorsque le peuple abattit la statue de
Louis XIV à la place de Belcour, on porta les figures en bronze de ces deux
fleuves, qui étaient placées aux deux côtés de la statue, à la maison de ville,
et, peu de jours après, les rues furent inondées de sang, par le premier
massacre que firent les jacobins. — Baron de
Gleichen, Souvenirs, éd. 1868.
Comte
de Saint-Germain
Un personnage singulier
◊ Je l'ai
suivi pendant six mois avec l'assiduité la plus soumise, et il ne m'a rien
appris, sinon à connaître la marche et la singularité de la charlatanerie.
Jamais homme de sa sorte n'a eu ce talent d'exciter la curiosité et de manier
la crédulité de ceux qui l'écoutaient. Il savait doser le merveilleux de ses
récits, suivant la réceptibilité de son auditeur. Quand il racontait à une bête
un fait du temps de Charles Quint, il lui confiait tout crûment qu'il y avait
assisté, et quand il parlait à quelqu'un de moins crédule, il se contentait de
peindre les plus petites circonstances, les mines et les gestes des
interlocuteurs, jusqu'à la chambre et la place qu'ils occupaient, avec un
détail et une vivacité qui faisaient l'impression d'entendre un homme qui y
avait réellement été présent. Quelquefois, en rendant un discours de François Ier,
ou de Henri VIII, il contrefaisait la distraction et disant: «Le roi se tourna
vers moi».... il avalait promptement le moi et continuait avec la
précipitation d'un homme qui s'est oublié, «vers le duc un tel.»
Il savait,
en général, l'histoire minutieusement, et s'était composé des tableaux et des
scènes si naturellement représentés, que jamais témoin oculaire n'a parlé d'une
aventure récente, comme lui de celles des siècles passés.
Mystification
De mauvais
plaisants menèrent dans le Marais sous le nom de M. de Saint-Germain, un acteur
nommé Gower, pour satisfaire la curiosité des dames et des badauds de ce canton
de Paris, plus aisé à tromper que le quartier du Palais-Royal; ce fut sur ce
théâtre que notre faux adepte se permit de jouer son rôle, d'abord avec un peu
de charge, mais, voyant qu'on recevait tout avec admiration, il remonta de
siècle en siècle jusqu'à Jésus-Christ, dont il parlait avec une familiarité si
grande, comme s'il avait été son ami. «Je l'ai connu intimement, disait-il,
c'était le meilleur homme du monde, mais romanesque et inconsidéré; je lui ai
souvent prédit qu'il finirait mal.» Ensuite, notre acteur s'étendait sur les
services qu'il avait cherché à lui rendre par l'intercession de madame Pilate,
dont il fréquentait la maison journellement. Il disait avoir connu
particulièrement la sainte Vierge, sainte Élisabeth, et même sainte Anne sa
vieille mère. «Pour celle-ci, ajoutait-il, je lui ai rendu un grand service
après sa mort. Sans moi, elle n'aurait jamais été canonisée. Pour son bonheur,
je me suis trouvé au concile de Nicée, et comme je connaissais beaucoup
plusieurs des évêques qui le composaient, je les ai tant priés, leur ai tant
répété que c'était une si bonne femme, que cela leur coûterait si peu d'en faire
une sainte, que son brevet lui fut expédié.»
C'est cette facétie si absurde et
répétée à Paris assez sérieusement, qui a valu à M. de Saint-Germain le renom
de posséder une médecine qui rajeunissait et rendait immortel; ce qui fit
composer le conte bouffon de la vieille femme de chambre d'une dame, qui avait
caché une fiole pleine de cette liqueur divine: la vieille soubrette la déterra
et en avala tant, qu'à force de boire et de rajeunir, elle redevint petit
enfant.
Jouvence
mystérieuse
Quoique
toutes ces fables, et plusieurs anecdotes débitées sur l'âge de M. de
Saint-Germain, ne méritent ni la croyance ni l'attention des gens sensés, il
est pourtant vrai que le recueil de ce que des personnes dignes de foi m'ont
attesté sur la longue durée et la conservation presque incroyable de sa figure,
a quelque chose de merveilleux. J'ai entendu Rameau et une vieille parente d'un
ambassadeur de France à Venise, assurer y avoir connu M. de Saint-Germain en
1710, ayant l'air d'un homme de cinquante ans. En 1759, il paraissait en avoir soixante, et alors M. Morin, depuis mon
secrétaire d'ambassade, de la véracité duquel je puis répondre, renouvelant
chez moi sa connaissance faite en 1735 dans un voyage en Hollande, s'est
prodigieusement émerveillé de ne le pas trouver vieilli d'une année. Toutes les
personnes qui l'ont connu depuis, jusqu'à sa mort, arrivée à Schleswig en 1780,
si je ne me trompe, et que j'ai questionnées sur les apparences de son âge,
m'ont toujours répondu qu'il avait eu l'air d'un sexagénaire bien conservé.
« Ces bêtes
de Parisiens, me dit-il un jour, croient que j'ai cinq cents ans, et je les
confirme dans cette idée, puisque je vois que cela leur fait tant de plaisir ;
ce n'est pas que je ne sois infiniment plus vieux que je ne parais » — car il
souhaitait pourtant que je fusse sa dupe jusqu'à un certain point.
Sa mort en Allemagne ; le mystère reste entier.
Cet homme
extraordinaire est mort près de Schleswig, chez le prince Charles de Hesse,
qu'il avait entièrement subjugué, et engagé dans des
spéculations qui ont mal réussi. Durant la dernière année de sa vie, il ne se
faisait servir que par des femmes, qui le soignaient et le dorlotaient comme un
autre Salomon, et après avoir perdu insensiblement ses forces, il s'est éteint
entre leurs bras.
Toutes les
peines que les amis, les domestiques et même les frères de ce prince, se sont
données pour arracher de lui le secret de l'origine de M. de Saint-Germain, ont
été inutiles; mais ayant hérité de tous ses papiers et reçu les lettres
arrivées depuis au défunt, le prince doit être mieux instruit sur ce chapitre
que nous, qui vraisemblablement n'en apprendrons jamais davantage, et une
obscurité si singulière est digne du personnage. — Baron Charles-Henri de Gleichen, Souvenirs suivis de La science maçonnique,
éd. 1868.
Source : Baron de Gleichen (Nemersdorf, 1735 – Ratisbonne, 5 avril 1807)
<> 09/10/2023