Nudité protestataire – Manifestant à poil rue Royale.
nu-pieds et nu-chef, en leur chemise seulement ... (Froissart)
À poil,
Contre l´écrasement fiscal.
Le petit Pain du Jeudi
À M. X...,
manifestant, rue Royale, à Paris
Vous manifestiez, Monsieur, et vous étiez en tête d’une section de
contribuables en folie. Vous progressiez dans cette noble rue Royale qui a vu
déjà pas mal de jours de colère et, par les bons offices de Maxim’s, un nombre plus considérable de
nuits de noce, aux temps où les impôts étaient moins lourds.
Et voici que, soudain, le Génie du Geste vous toucha de son aile. Vous eussiez
pu vous fendre d’un discours peut-être égal, sinon supérieur en éloquence, à
ceux que l’on entend dans la vieille cambuse parlementaire vers laquelle vous
marchiez. Vous eussiez pu vous retourner, relever les pans de votre pardessus,
et vous taper allégoriquement sur les fesses, dans la direction de ce même
Palais-Bourbon. Vous eussiez pu entonner un chant de scalp, brandir une
oriflamme ou souffler dans une corne de bouquin : tout cela eût été banal, non
avenu, et vous seriez resté, dans le tumulte comme si vous n’étiez pas.
Vous avez retrouvé un mouvement héréditaire, extériorisé un symbole très
simple. Vous avez arraché vos vêtements, vous vous êtes mis tout nu, ou
presque. (Et si vous avez gardé votre chemise, craignant d’être inculpé
d’outrages aux mœurs, le symbole que vous incarniez n’en était pas moins
frappant). Puis, tombant à genoux, vous vous êtes écrié :
« Voilà ce
que les contributions ont fait de moi ! »
Aussitôt,
les journaux ont narré votre exploit. Vous aviez conféré sa valeur à une
journée historique, elle était désormais sous votre signe. Inclinons-nous,
admirons la puissance incantatoire du Geste. N’hésitons pas, avec une humilité
courageuse, à y reconnaître notre véritable nature : nous sommes matière avant
d’être esprit, instinct avant d’être raison, et c’est pourquoi il advient si
souvent que l’éclair d’une épée, le coup sec d’un revolver, la trajectoire d’un
coup de pied au c... ou, tout simplement, le vent d’un soufflet déclenche des
effervescences mémorables, tandis que les propos les plus lapidaires, les
philippiques les plus enflammées et les plus spirituels des libelles laissent
de glace une foule que touche uniquement le concret. Il semble qu’il soit des
instants où le peuple attend un geste comme les nerveux attendent un coup de
tonnerre : avec crainte et désir. Il semble aussi que les races mesurées comme la
nôtre portent en elles la nostalgie du Geste; et lorsque par hasard il s’y
manifeste, comme tout s’aère soudain, comme on voit clair, comme on a le
sourire ! Il nous souvient qu’il a suffi d’une seule gifle, d’une petite gifle
de rien du tout pour changer naguère la direction d’un de nos quotidiens : la
désapprobation du public, pendant plus de sept ans, y avait été impuissante...
Nous
ignorons, Monsieur, si vous vous êtes rendu compte de la portée de votre nudité protestataire.
Mais nous, nous voyons bien que vous obéissiez à une impulsion secrète venue de
très loin, et c’est cela qui est digne d’être médité. Dans votre esprit, vous
pensiez exécuter simplement une bonne blague et brocarder d´excellente façon
les tortionnaires physcaux en
matérialisant votre débine. Au vrai, vous renouveliez le geste antique de 1´homme
faible qui, toutes les fois où l’oppresse de façon trop cruelle l’injustice
sociale, étouffe au sens physique du mot et tend à se mettre tout nu pour avoir
de l’air ; vous rejoigniez les grands illuminés du Moyen Âge, hérétiques ou
confisqués par l’orthodoxie, peu importe, les Albigeois, les Cathares, les Vaudois,
asphyxiés par la Règle, et qui pour un oui ou pour un non gambadaient à poil ; vous descendez tout droit des disciples du bon
saint François d’Assise, qui furent les plus notables révoltés du temps et qui
se roulaient dans la poix, avec, pour tout vêtement, quelques plumes que vous
n’avez eu garde de conserver.
L’archiviste, penché sur les relations du temps, épinglera votre silhouette blanche, agenouillée sur le front du populaire aux vêtements sombres. Il aura découvert le petit fait typique, qui est comme le chiffre d’une époque. Il la communiquera au philosophe de l’Histoire, au logicien qui s’étonnera. De quoi se plaignaient, s écriera-t-il, les naïfs contribuables de ce temps-là ? Ils n’avaient cessé, depuis plus d’un siècle, de réclamer de l’État une extension toujours plus complexe de ses activités. L’État de leur rêve devait tout prévoir, empêcher tous les maux, nourrir, instruire, panser, véhiculer, éclairer, documenter tout le monde. Ils s’étaient toqué d’un État-Providence, d’un État qui fût Dieu. Ignoraient-ils le prix des apothéoses, et qu’il faut beaucoup d’argent pour se diviniser ?
Références
↑ Source : Université de Liège. Pourquoi pas ? 2 Février 1934, p. 247. Le petit Pain du Jeudi : À M. X..., manifestant, rue Royale, à Paris.
> Nudipédales. cyclonue.
NUDIPÉDALES, (Antiquité romaine) nudipedalia. — On marchait nu-pieds dans cette fête pour se mortifier à l’occasion de quelque calamité publique, comme peste, famine, inondations, sécheresse et autres malheurs pareils. — Jaucourt, L´Encyclopédie, 1765.
↑Jaucourt
<> 01/12/2023