Le Caire, nouvelle Sodome.
— Edmond Combes, Voyage en
Égypte, 1846. p. 75 sq
III.
SOMMAIRE.
Nouvelle Sodome. — Une bonne fortune. — Mœurs corrompues des habitants du Caire. - Causes de cette corruption. — Le bain turc. — Le keff. — De l'usage d'offrir des pipes et du café. Habillements des Orientaux. — Contrastes entre les Européens et les musulmans. — De la polygamie et de la monogamie. — Rôle de la femme en Orient. — Des Européens établis au Caire. — Marché d'esclaves. — Disputes entre Égyptiens.
CHAPITRE III.
75. Si, comme dans les temps anciens, dans ces temps de lugubre mémoire, où les désordres des hommes attiraient sur leurs têtes les effroyables désastres d'un déluge universel, où une orgueilleuse pensée était cause que des familles, depuis longtemps unies et habituées à vivre ensemble , étaient condamnées à se séparer brusquement parce qu'elles ne pouvaient plus se comprendre, si comme alors, dis-je, la justice de Dieu était toujours implacable, le Caire, cette cité populeuse et florissante, cette fille corrompue de Sodome et de Gomorrhe partagerait la destinée terrible de ces villes réprouvées et ne serait bientôt qu'un amas de ruines et de cendres. On entendrait de nouveau la voix formidable de l´Éternel répétant ces paroles sinistres : Clamor Sodomorum et Gomorrhœ multiplicatus est et peccatum eorum aggravatum est nimis [1]. Et le Caire, cette cité populeuse et florissante, disparaîtrait de la surface du globe.
↑1- Et l'Éternel dit : Le cri contre Sodome et Gomorrhe s'est accru, et leur péché est énorme. Genèse, xxviii, 3.
Quiproquo
76. Un soir, que je m'étais attardé dans les rues du Caire , un jeune homme imberbe, élégamment vêtu, remarquable par la régularité de ses traits féminins et la longueur de sa chevelure tressée, s'approcha de moi avec mystère, et m'invita à le suivre. Je me crus en bonne fortune et j'y étais en effet ; mais j'étais bien loin de soupçonner la vérité. Avec la présomption naturelle à mon âge, je ne doutais pas un instant que ce jeune homme, à la physionomie si avenante, ne fût le messager de sa maîtresse ou de sa sœur,
77. et je me
serais mis à
sa disposition sans
hésiter, sans lui adresser
une seule question,
si j'avais pu oublier
que j'étais dans
le Levant où
les aventures amoureuses ont presque toujours
une fin tragique. Avant donc
de le suivre
et de céder
à ses instances, qui
devenaient pressantes, je
lui demandai si la
femme qui l'envoyait,
valait la peine qu'on
se dérangeât : Que parles-tu
de femmes, me dit-il,
de l'air le plus
dédaigneux, regarde-moi, ajouta-t-il en
minaudant , est-ce que
je ne vaux pas
mieux que toutes
les femmes du
monde ?...
Il faut s'être trouvé soi-même dans une position pareille pour se faire une idée exacte du dégoût que doivent inspirer des êtres si profondément dégradés. Je m'éloignai en frissonnant. La vue d'un reptile ne m'aurait pas fait plus de mal.
Mais ce n'est pas seulement dans les rues et le soir que vous êtes exposé à faire de pareilles rencontres: dans cette Babylone impure, la sodomie est partout. Les demeures des grands, les réduits les plus misérables, les cafés, les bains publics sont infectés par la présence de ces êtres immondes et fangeux qui se livrent sans honte, et avec une effronterie dont vous rougissez pour eux, à ce vice dégradant et ignoble [1].
↑1- Les grands donnent l´exemple et sont imités sur ce point d´une manière aussi dégoûtante que générale. Le second personnage du gouvernement cache si peu ses goûts infâmes, que l´on reconnaît ceux qui en sont l'objet, à la beauté de leurs chevaux, à la recherche de leur costume. Les femmes sont négligées au point que la vente des plus belles esclaves est souvent difficile. Les bains publics sont spécialement le théâtre de ces débauches hideuses. De Forbin, Voyage dans le Levant, 291. La sodomie est populaire dans tout l´Orient, elle s´y montre sans entraves et sans pudeur. Lallemand, cité par Clot Bey, dans son Aperçu général sur l´Égypte, T. I, p. 348.
Mœurs corrompues
78. Et cependant les musulmans ont des lois pénales contre la sodomie, mais elles ne sont pas plus efficaces pour arrêter le mal que ne le sont chez nous les lois contre l´adultère. Il y a même un curieux rapprochement à établir entre la manière dont les Orientaux envisagent la pédérastie, et les Européens l´adultère. La législation musulmane n´épargne ni le sodomite, ni le patient; la législation française punit l´homme et la femme coupables, ou du moins convaincus, d'adultère. Mais l´opinion publique, dont les lois ne sont pas toujours l'expression se montre moins impartiale. En Égypte, elle est pleine de tolérance pour le séducteur, et elle flétrit sans pitié le patient qu'on a séduit. En France l´homme à bonnes fortunes, qui se fait un jeu de troubler les familles, peut se vanter impunément de ses conquêtes, son honneur n'en reçoit pas d'atteintes ;
79. la femme infidèle porte seule le poids de sa faute : ainsi le patient est assimilé à la femme dont il usurpe les droits.
Mais il y a selon moi, dans ces rapports monstrueux d'homme à homme, quelque chose de plus hideux encore que le rapprochement matériel, ce sont les prévenances délicates, les soins empressés, les séductions de toute nature que le sodomite prodigue à l´enfant dont il convoite les faveurs. L´Européen, violemment épris d'une femme, n´est ni plus attentif, ni plus passionné auprès d'elle, que ne le sont les Turcs dépravés auprès de leurs mignons ; et le jeune homme ardent et amoureux n´est pas plus fier de sa belle maîtresse, qu'un pacha ne l´est de ses mamelouks à la peau fine et au menton sans barbe. Ces tristes résultats que j'avais promis de faire connaître dès le premier chapitre, sont la conséquence déplorable, mais naturelle de l'absence de tout sentiment élevé et délicat dans le cœur des femmes d'Orient, et de l'état d'abaissement dans lequel elles vivent. Aussi tandis que ces malheureuses créatures si richement dotées par le Créateur sont traitées avec brutalité et dédain, des hommes vils et méprisés reçoivent de la part d'autres hommes, corrompus et méprisables, des témoignages d´un honteux amour.
80. J'ai dit que les musulmans avaient des lois contre la sodomie, mais les affaires qui se rattachent à ce vice, sont rarement portées devant les tribunaux , et pourtant si l'on voulait se montrer sévère , la plus grande partie des habitants du Caire et les juges eux-mêmes, viendraient s'asseoir en masse sur le banc des accusés.
Montesquieu a écrit que le vice de la sodomie était commun chez quelques nations mahométanes à cause de la facilité d'avoir des femmes. Mais il est des pays, et l'Abyssinie est de ce nombre, dans lesquels cette facilité est encore plus grande que chez aucun peuple musulman et où la sodomie est à peu près inconnue : le trahit sua quemque voluptas de Virgile, peut sembler très-philosophique, mais il annonce un homme profondément dépravé. Plusieurs causes ont dû concourir à l'introduction de ce mal et à ses progrès effrayants dans certaines contrées soumises à l'islamisme : la raison donnée par Montesquieu, prouve que ce philosophe connaissait mal les mœurs orientales. Si les femmes sont faciles dans le Levant, ce que je suis tout disposé à croire; néanmoins, à cause de la surveillance rigoureuse exercée à leur égard, il très difficile de les voir et à plus forte raison de les avoir. [1] [2]
↑2- Le crime contre nature ne fera jamais dans une société de grands progrès, si le peuple ne s'y trouve porté d'ailleurs par quelque coutume, comme chez les Grecs, où les jeunes gens faisaient tous leurs exercices nus; comme chez nous, où l'éducation domestique est hors d'usage; comme chez les Asiatiques, où des particuliers ont un grand nombre de femmes qu'ils méprisent, tandis que les autres n'en peuvent avoir. — Livre XII, ch. 6 - Du crime contre nature — Montesquieu, L´Esprit des lois, 1748.
81. Et fussent-elles à la fois de mœurs et d'abord faciles, il serait aisé de démontrer par de nombreux exemples que cette facilité, loin de pousser à la sodomie, en détourne plutôt. Quelles sont donc les causes qui ont amené et entretenu ce fléau au milieu des populations musulmanes? La première notion de l´organisation et des mœurs turques suffiront pour nous les faire connaître.
Dans tous les États, gouvernés militairement comme l´était la Turquie, les déplacements sont multipliés et fréquents; dans l´administration, le mouvement est continuel. Il y a en outre, deux classes considérables de voyageurs volontaires : les commerçants et ceux qui font le pèlerinage de la Mecque. Il est sinon impossible, du moins très difficile à tous ces hommes d'amener leur harem avec eux, surtout dans un pays où la loi, d'accord cette fois avec les mœurs, défend à la femme de se produire en public. Dès que les Turcs ont dépassé le seuil de leur porte, ils n'ont plus de femmes à voir, et l'esprit d'intrigue et d'aventure n'est pas assez développé chez eux pour qu'ils cherchent à franchir les barrières qui les séparent d'elles.
82. Tandis que la vue d'un harem leur est alors constamment interdite, ils ont autour d'eux, à leur service, de jeunes et beaux garçons , libres ou esclaves, et, en l´absence de femmes, c'est sur eux qu'ils assouvissent leurs infâmes désirs.
On ne manquera pas sans doute d'observer, (et alors la maxime déplorable de Virgile que je citais tout à l'heure trouverait son application) que si le manque de femmes était la véritable cause du mal, on ne verrait pas des musulmans négligeant leurs épouses, dont ils ne sont pas séparés, pour se livrer, en quelque sorte sous leurs yeux, à leurs penchants dépravés. Le manque de femmes n'est pas la seule cause du mal, mais elle en est la première ; la corruption est venue ensuite. En résumé, l'impossibilité de voir d'autres femmes que les siennes, dans un État organisé comme la Turquie; la facilité qu'ont les musulmans de lier en tous lieux, avec de jeunes garçons, des relations qui ont pour eux tout l'attrait d'une intrigue amoureuse, et, comme je l'ai déjà fait observer, la personnalité anéantie de la femme, toujours trop honorée des faveurs de son maître, sa soumission aveugle et passive à ses volontés, quelles qu'elles soient, et l'absence complète de toute coquetterie de sa part, telles sont,je crois, les causes qui ont introduit et perpétué chez les Orientaux ce vice méprisable et dégradant....
83. Mais hâtons-nous d'abandonner ce triste sujet et, si le lecteur y consent, je le conduirai aux bains turcs : il y a des établissements exclusivement destinés aux hommes, d'autres réservés aux femmes. Dans les petites villes qui n'en possèdent qu'un seul, les hommes et les femmes
ont chacun leur jour.(...)
Le Caire : Esclaves au marché. |
◊ Le masseur lui massait les jambes (mollets duvetés et cuisses imberbes) ; les mains artistes montaient en frémissant comme des flammes. — Montherlant, Les Olympiques, 1924.
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<> 13/05/2024