Mœurs orientales
Michel Baudier, Histoire du Sérail, 1624.
Il est
dangereux de servir aux passions de telles Amantes, dont la récompense et le
loyer d´un pénible amour est une dague, ou un verre de poison.- Baudier (1)
Messagères
d´amour
Ceux qui en sont avertis à Constantinople,
évitent ce péril, et payent d'un refus la peine de celles qui leur en parle,
non sans danger pourtant, car telles Ambassadrices aussi bien que les grandes
qui les emploient, sont sorcières,
et vengent le déni sur les personnes de ceux qui le leur font, ainsi qu'il
arriva ces dernières années à un Gentilhomme François qui était à
Constantinople, du temps que le Sieur Baron de Sancy y servait le Roy en son
Ambassade :
Ce Gentilhomme allant au Divan, qui est
l'Audience publique au Sérail, fait rencontre d'une femme, dont l’âge, les
habits, et le discours montrait assez qu'elle faisait plaisir aux Dames
Turques. Elle l'aborde, et lui dit en mêmes paroles : « Aurais-tu
bien le courage de voir une belle Dame qui a de l'amour pour toi ? » Celui-ci qui savait de quels myrtes [1] telles
Dames ont accoutumé de couronner les Amants qui les ont servies, s'excuse pour
l'heure, allègue l'affaire importante qui le menait au Sérail, mais promet au
retour de contenter ses désirs, et la prie de l'attendre au passage. Il va
tandis au Sérail, y poursuit son négoce, et l'ayant fini retourne à son logis
par un autre chemin, et laisse la femme dans les impatiences d'une trompeuse
attente : elle se voit enfin déçue par ce François : et pour venger cet
affront, a recours à ses sortilèges,
et les emploie contre lui. Ils font leur effet, et le Français se trouve tout à
coup saisi d'une espèce de paralysie ; la maladie le couche au lit, où il
n'a pour tout entretien que de grandes et sensibles douleurs. Les Médecins sont
appelés à son secours, leur science ignore la cause de son mal, et n'y trouve
point de remède : quelques jours se passent en ces extrémités, après lesquels
une vieille Turque s'offre de guérir le malade : elle le visite, et l'ayant envisagé,
lui dit en son patois :
« Je vous guérirai bientôt, mais dites la vérité. N'avez- vous pas refusé quelque Dame qui vous priait d'amour ? » Par ces [sic] charmes elle repoussa ceux qui le tourmentaient, et le remit en santé, après le retour de laquelle cet homme allant par Constantinople rencontra une femme qui lui dit tout bas : « Souvenez- vous une autre fois de n'abuser plus de la courtoisie des femmes qui vous chérissent, et ne les trompez plus par vos vaines promesses. »
↑1- Chez les anciens le myrte était consacré à Vénus (Ac.). Les feuilles du myrte symbolisaient pour les Anciens l'amour et la gloire.
Harem lesbien
Or toutes les femmes de la Turquie, et
particulièrement celles de Constantinople n'arrêtent pas leurs affections aux
hommes seulement, elles deviennent passionnément amoureuses les unes des
autres, et s'adonnent entr'elles à de fausses et illégitimes amours, principalement
les femmes des Seigneurs de qualité qui demeurent enfermées en des Sérails sous
la garde des Eunuques ►.
Ce vicieux appétit les dominent si
tyranniquement, qu'il étouffe en elles le désir d'un naturel amour, et leur
fait souvent avoir leur mari à contrecœur. Ce désordre peut venir de ce que
leur affection manquant de prise légitime, s'attache à un objet étranger, et la
vengeance des amours
dénaturés de leur mari les y
porte : car la plupart des hommes du Levant, et les plus Grands sont perdus à
cette sale, et brutale
lasciveté ►.
Tant y a que [2] ces Dames s'aiment
très-ardemment les unes les autres, et viennent
même aux effets de leurs folles amours, s'embrassent nues, s'agitent, et
font les autres actions que l'amour recherche, et que la pudeur défend
d'écrire. Celles qu'un si étrange amour rend esclave des autres, les vont
trouver dans le bain pour les voir nues, et s'entretenant sur le sujet dont
elles languissent, se font de pareils discours en leur langue :
On a
bien eu raison de dire que le Soleil se plongeait dans les ondes, puis que vous
êtes dans cette eau : elle qui doit de fa nature éteindre les flammes allume
mes feux quand vous y êtes. Hélas ! serait- il bien possible que vous reçussiez à la jouissance
d'une si grande beauté qui vous décore, d´autres personnes que celles de votre
sexe, — qui font d'autres vous-mêmes ? Fuyez les
embrassements des hommes qui nous méprisent, et n'ont de l'amour que pour leurs
semblables, et prenez de vous- même avec nous les contentements qu'ils ne
méritent pas.
Après qu'une folle Amante a fait de pareils
discours , elle descend dans le bain , et va brûler d'une flamme , qu'elle est
incapable d'éteindre, embrasse son amante, la baise et fait avec elle,
quoiqu'en vain, ce qu'il faut ici taire : et ces amours de femme à femme sont
si fréquents dans le Levant, que quand quelque Turc se veut marier, le
principal point dont il s'informe, est si celle qu'il recherche n'est point
sujette à quelque femme qu'elle aime, ou dont elle soit aimée. Ainsi vivent les
peuples éloignés de la lumière de la vraie Foy, dans les ténèbres de
l'ignorance Mahométane, qui les a portés aux excès de toute sorte de vices. p.
77-78.
↑1- Tant y a que , Quoi qu'il en soit…
eunuque :Références
↑ Source : Michel Baudier. « Histoire générale du sérail et de la
cour du grand seigneur, empereur des Turcs, où se voit l'image de la grandeur
ottomane, le tableau des passions humaines et les inconstantes prospérités de
la cour » 1624. — Baudier - Histoire du sérail et de la cour du sultan des
Turcs. XVIIe siècle.
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<> 28/10/2023