lundi 9 juin 2025

Formosum pastor Corydon

 











Formosum pastor Corydon ardebat Alexin - Virgile  Texte et traduction. Notes de Plessis, 1913.

 Les Bucoliques, Églogue II. trad. Nisard, 1868.

Corydon, le mûr Sicule  veut baiser le bel Alex, rôt de luxe du Tantagha. Et ses espoirs sont vains. 
"Rosée du matin de Mai, ô bel enfant, disait-il, Viens dans ma chaumière jouer du pipeau. J´ai pour toi des fleurs, des fruits, ...et des scoubidous."
Le Poète : "Tu es fol, Corydon, en vérité. Le bouc baise la carne, et l´agneau broute la tendresse. Tresse plutôt des joncs, et va porter à Melle tes chabichous!"  — Rosé du soir, fine de poire.

Ce gentil poème pastoral décrit l´amour païen du Sicilien Corydon pour le jeune esclave grec Alexis.

Tout en étant le fruit de son époque (inégalités, guerre civile, pouvoir militaire), l´œuvre du Mantouan atteint à l´universel. Ce chant d´amour contrarié est de tous les temps, et il s´adresse à tous. La traduction ne rend pas compte de la musique du vers latin.

  Le pâtre Corydon aime Alexis, un jeune esclave qui ne lui appartient pas; pour le séduire, il fait valoir ses richesses rustiques et son talent de musicien ; il le presse de venir demeurer avec lui, et lui promet en retour une flûte, des chevreuils, des fleurs et des fruits. Puis, sentant la vanité de sa poursuite, il y renonce et prend le parti de se distraire par un travail utile. — (F. Plessis)

Cette églogue est inspirée de l'Idylle 11 des Idylles de Théocrite appelée Chant du Cyclope.

ÉGLOGUE II. - ALEXIS.

Le berger Corydon brûlait pour le bel Alexis, les délices de son maître, et il n’avait pas ce qu’il espérait. Seulement il venait tous les jours sous les cimes ombreuses des hêtres épais ; là, seul, sans art, il jetait aux monts, aux forêts cette plainte perdue :

Corydon :

« Ô cruel Alexis, tu dédaignes mes chants, tu n’es point touché de ma peine ; à la fin, tu me feras mourir. Voici l’heure où les troupeaux cherchent l’ombre et le frais ; où les vertes ronces cachent les lézards ; où Thestylis broie l’ail et le serpolet odorants, pour les moissonneurs accablés des feux dévorants de l’été. Et moi, attaché à la trace de tes pas, je n’entends plus autour de moi que les buissons qui retentissent, sous un soleil ardent, des sons rauques des cigales. Ne m’eût-il pas été moins dur de supporter les tristes colères et les superbes dédains d’Amaryllis ? Que n’aimé-je Ménalque, quoiqu’il soit brun, quoique tu sois blanc ? Ô bel enfant, ne compte pas trop sur la couleur : on laisse le blanc troène, on cueille la noire airelle. Tu me méprises, Alexis, et tu n’as souci de savoir qui je suis, combien je suis riche en troupeaux, combien en blanc laitage. Mille brebis paissent pour moi sur les monts de Sicile ; l’été, l’hiver, le lait nouveau ne me manque pas. Je chante les airs que chantait, quand il appelait ses troupeaux, Amphion de Thèbes sur le haut Aracynthe. Je ne suis pas si affreux ; je me suis vu naguère sur le rivage, dans la mer calme et unie ; et si le miroir des eaux ne nous trompe jamais, je ne craindrais pas, te prenant pour juge, Daphnis pour la beauté. 

Ô qu’il te plaise seulement d’habiter avec moi ces pauvres campagnes, et nos humbles chaumières ; de percer les daims, et de chasser devant toi, avec la verte houlette, la bande pressée de nos chevreaux. Avec moi dans les forêts tu imiteras Pan sur tes pipeaux. Pan le premier a enseigné à joindre ensemble par la cire plusieurs chalumeaux ; Pan protège et les brebis et les bergers. Ne crains pas de blesser avec la flûte ta lèvre délicate : pour apprendre mes airs, que ne faisait pas Amyntas ? J’ai une flûte formée de sept tuyaux d’inégale hauteur, qu’autrefois Damétas m’a donnée en propre : en mourant il me dit : « Tu es le second qui l’aies. » Ainsi dit Damétas ; Amyntas n’en fut-il pas sottement envieux ?

De plus, j’ai trouvé au fond d’un périlleux ravin deux petits chevreuils tachetés de blanc ; chaque jour ils épuisent les mamelles de deux brebis : je les garde pour toi. Il y a longtemps que Thestylis me presse de les lui amener ; et elle les aura, puisque tu n’as que du dédain pour mes présents. Viens, ô bel enfant ! Voici les nymphes qui t’apportent des lis à pleines corbeilles : pour toi une blanche naïade cueillant de pâles violettes, les plus hauts pavots, et le narcisse, les joint aux fleurs odorantes de l’aneth ; pour toi entremêlant la case et mille autres herbes suaves, (2, 50) elle peint la molle airelle des couleurs jaunes du souci. Moi-même je cueillerai les blanches pommes du coing au tendre duvet, et des châtaignes, qu’aimait mon Amaryllis : j’y joindrai la prune vermeille ; elle aussi sera digne de te plaire. Et vous aussi, lauriers, myrtes si bien assortis, je vous cueillerai, puisqu’ainsi rassemblés vous confondez vos suaves odeurs.

Le Poète :

Tu es sot, Corydon ; Alexis ne veut pas de tes présents ; et si les tiens le disputaient à ceux d’ Iolas, Iolas ne te céderait pas. Malheureux, qu’ai-je dit ? Je suis perdu d’amour ; j’ai déchaîné l’ auster sur les fleurs, j’ai lancé le sanglier fangeux dans les claires fontaines. (2, 60) Ah ! qui fuis-tu, insensé ? Les dieux aussi ont habité les forêts ; le Troyen Pâris était berger. Que Pallas aime les hauts remparts qu’elle a bâtis : nous, que les bois nous plaisent par-dessus tout. La lionne à l’œil sanglant cherche le loup ; le loup, la chèvre ; la chèvre lascive, le cytise en fleurs : et toi, Corydon te cherche, ô Alexis ! chacun suit le penchant qui l’entraîne. Vois, les bœufs ramènent le soc levé de la charrue ; et le soleil, qui descend, double les ombres croissantes : et moi je brûle encore… Est-il quelque répit à l’amour ?

Ah ! Corydon, Corydon, quelle démence est la tienne ? La vigne, unie à cet ormeau touffu, reste à demi-taillée : que ne prépares-tu plutôt quelque ouvrage utile à tes champs ? que ne tresses-tu le jonc et le flexible osier ? Tu trouveras un autre Alexis, si cet Alexis te dédaigne.

 Commentaire

  À un repas chez Pollion, Virgile aurait été frappé de la beauté d'un jeune esclave nommé Alexandre ; Pollion le lui aurait donné ; on ne jugera pas invraisemblable qu'il ait choisi ce sujet sous l'influence d'un incident de sa vie. En poète, et en poète de tradition nourri des Grecs et de Théocrite, il aura transformé cette petite histoire en une aventure de passion. C'est un instinct du génie : un fait peu important, et par lui-même sans poésie, donne au poète l'idée de se  transporter sur un terrain où il est déjà maître, où il le deviendra de plus en plus, la peinture d'un amour malheureux. — (Frédéric Plessis)

 Texte latin

[2,0] Ecloga secunda.

[2,1] Formosum pastor Corydon ardebat Alexin,
delicias domini, nec quid speraret habebat.
tantum inter densas, umbrosa cacumina, fagos
adsidue ueniebat. ibi haec incondita solus
[2,5] montibus et siluis studio iactabat inani;
'O crudelis Alexi, nihil mea carmina curas?
nil nostri miserere? mori me denique cogis ?
nunc etiam pecudes umbras et frigora captant,
nunc uirides etiam occultant spineta lacertos,
[2,10] Thestylis et rapido fessis messoribus aestu
alia serpyllumque herbas contundit olentis.
at mecum raucis, tua dum uestigia lustro,
sole sub ardenti resonant arbusta cicadis.
nonne fuit satius tristis Amaryllidos iras
[2,15] atque superba pati fastidia? nonne Menalcan,
quamuis ille niger, quamuis tu candidus esses?
o formose puer, nimium ne crede colori;
alba ligustra cadunt, uaccinia nigra leguntur.
Despectus tibi sum nec qui sim quaeris, Alexi,
[2,20] quam diues pecoris, niuei quam lactis abundans.
mille meae Siculis errant in montibus agnae;
lac mihi non aestate nouum, non frigore defit.
canto quae solitus, si quando armenta uocabat,
Amphion Dircaeus in Actaeo Aracyntho.

[2,25] nec sum adeo informis; nuper me in litore uidi,
cum placidum uentis staret mare. non ego Daphnin
iudice te metuam, si numquam fallit imago.
O tantum libeat mecum tibi sordida rura
atque humilis habitare casas et figere ceruos
[2,30] haedorumque gregem uiridi compellere hibisco!
mecum una in siluis imitabere Pana canendo.
Pan primum calamos cera coniungere pluris
instituit, Pan curat ouis ouiumque magistros;
 nec te paeniteat calamo triuisse labellum.

[2,35] haec eadem ut sciret, quid non faciebat Amyntas?
est mihi disparibus septem compacta cicutis
fistula, Damoetas dono mihi quam dedit olim
et dixit moriens: 'te nunc habet ista secundum';
dixit Damoetas, inuidit stultus Amyntas.

[2,40] praeterea duo—nec tuta mihi ualle reperti—
capreoli sparsis etiam nunc pellibus albo,
bina die siccant ouis ubera; quos tibi seruo.
iam pridem a me illos abducere Thestylis orat;
et faciet, quoniam sordent tibi munera nostra.

[2,45] Huc ades, o formose puer, tibi lilia plenis
ecce ferunt Nymphae calathis; tibi candida Nais,
pallentis uiolas et summa papauera carpens,
narcissum et florem iungit bene olentis anethi;
tum casia atque aliis intexens suauibus herbis
[2,50] mollia luteola pingit uaccinia caltha.
ipse ego cana legam tenera lanugine mala
castaneasque nuces, mea quas Amaryllis amabat;
addam cerea pruna — honos erit huic quoque pomo —
et uos, o lauri, carpam et te, proxime myrte,
[2,55] sic positae quoniam suauis miscetis odores.
Rusticus es, Corydon; nec munera curat Alexis
nec, si muneribus certes, concedat Iollas.
heu heu, quid uolui misero mihi? floribus Austrum
perditus et liquidis inmissi fontibus apros.

[2,60] Quem fugis, a, demens? habitarunt di quoque siluas
Dardaniusque Paris. Pallas quas condidit arces
ipsa colat; nobis placeant ante omnia siluae.
torua leaena lupum sequitur, lupus ipse capellam,
florentem cytisum sequitur lasciua capella,
[2,65] te Corydon, o Alexi; trahit sua quemque uoluptas.
Aspice, aratra iugo referunt suspensa iuuenci
et sol crescentis decedens duplicat umbras.
me tamen urit amor; quis enim modus adsit amori?
a, Corydon, Corydon, quae te dementia cepit!
[2,70] semiputata tibi frondosa uitis in ulmo.
quin tu aliquid saltem potius, quorum indiget usus,
uiminibus mollique paras detexere iunco?
inuenies alium, si te hic fastidit, Alexin.' 








Traduction moderne

Pour le bel Alexis, délices de son maître,
Le pâtre Corydon se consumait en vain ;
Il avait beau hanter les épais bois de hêtres,
Les monts et les forêts résonnaient sans écho
De ses plaintes sans art qu’il adressait au vide. (...)

« Corydon, Corydon, es-tu pris de démence ?
Toi, dont la vigne attend sur l’orme qu’on la taille.
Que ne fais-tu plutôt des choses qui te manquent,
Et que ne tresses-tu des brins souples d’osier ?
À défaut d’Alexis, un autre t’aimera. » — trad. Valéry, 1944.

 Références

↑­ Frédéric Plessis, in Œuvres de Virgile, éd. Plessis et Lejay, Hachette, 1919.
­↑ Texte latin établi et annoté par H. Goelzer, Garnier, 1895, 67 p.
­↑ Joël Thomas, VIRGILE- Bucoliques, Géorgiques, ELLIPSES, 1998. En ligne.
↑ Johann Heinrich Voß (1751 – 1826) Vergil, Idyllen. > Zweite Idylle - Alexis.
 
K. Buechner, P. Vergilius Maro, der Dichter der Römer, Stuttgart, 1960. 
Jacques Perret, Virgile, Hatier, coll. « Connaissance des lettres », 1967, 192 p.
J. PERRET, Virgile, Les Bucoliques. Édition, introduction et commentaire (Coll. Érasme). PUF, 1961.
Virgile (trad. Eugène de Saint-Denis), Bucoliques, coll. Budé, 1942 (rééd. 2005)
Virgile (trad. Jeanne Dion, Philippe Heuzé, Alain Michel, préf. Jeanne Dion), Œuvres Complètes, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », .
Virgile (trad. Anne Videau, préf. Hélène Casanova-Robin), Bucoliques, Les Belles Lettres, coll. « Commentario », .
 

↑ Virgile Valéry 

<> 28/06/2025

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