Pindare, Olympiques, trad. Sommer, 1847.
ODE I.
À HIÉRON DE SYRACUSE,
VAINQUEUR AU CÉLÈS.(course hippique)
(Strophe 1.)
L’eau est la plus précieuse des choses, et l’or, semblable à un feu qui rayonne dans la nuit, brille d’un vif éclat au milieu des richesses les plus superbes; mais, ô mon âme, si tu veux chanter les luttes, ne cherche point désormais pendant le jour un astre qui étincelle plus ardent que le soleil dans les solitudes des cieux; ne vantons point de combats plus magnifiques que ceux d’Olympie ; c’est de là que l’hymne renommé s’élance au cœur des poètes pour glorifier le fils de Cronos, près du riche foyer de l’heureux Hiéron,
(Antistrophe I.)
qui tient dans la Sicile opulente en troupeaux le sceptre de la justice, cueillant la fleur sublime de toutes les vertus, honoré par les suaves accords que souvent nous faisons retentir dans son palais, autour d’une table amie. Allons, saisis la lyre dorienne, si la gloire de Pise et de Phérénice [1] a ouvert ton cœur aux douces pensées, quand sur les bords de l´Alphée il s’élança dans la carrière, sans que son corps sentît l’aiguillon, et donna la victoire à son maître,
(Épode I.)
le roi de Syracuse, ami des coursiers. Pour lui s’épanouit la gloire dans la vaillante colonie du Lydien Pélops; Pélops qui fut aimé du dieu qui embrasse la terre, du puissant Neptune, après que Clotho l’eut retiré du vase sans tache, orné d’une épaule d’ivoire brillant.
Nombreux sont les prodiges; mais souvent d’ingénieuses fictions franchissent les limites de la vérité, et par de séduisants mensonges égarent les récits des hommes.
(Strophe II)
La poésie, qui apporte aux mortels toutes les douceurs, vient consacrer l’erreur et donne presque toujours du crédit aux fables les plus incroyables ; mais les jours à venir sont les plus sûrs témoins. Il convient à l’homme de publier ce qui est à la gloire des dieux ; il est ainsi moins coupable. Fils de Tantale, je parlerai de toi autrement que les anciens : quand ton père appela les immortels à un pieux festin dans sa chère Sipyle, et leur offrit à son tour sa table hospitalière, le dieu au superbe trident,
(Antistrophe II.)
le cœur brûlant de désir, t’enleva sur un char d’or, et te transporta dans le palais sublime de l’auguste Jupiter, où Ganymède vint aussi plus tard rendre à ce dieu les mêmes soins. Tu avais disparu, et tes serviteurs te cherchèrent en vain pour te rendre à ta mère ; alors des voisins envieux répétèrent dans l’ombre que, près de l’eau qui frémissait sur la flamme, les dieux avaient coupé tes membres avec le fer, et que, se partageant tes chairs autour de leur table, ils avaient assouvi leur faim.
(Épode II.)
Non, je ne saurais accuser aucun des immortels d’une semblable voracité. Loin de moi cette pensée. La calomnie attire presque toujours le châtiment. Si les maîtres de l’Olympe honorèrent jamais un mortel, ce fat Tantale ; mais il ne put supporter tant de bonheur ; son orgueil lui valut une peine terrible : le père des dieux suspendit sur son front un énorme rocher ; sans cesse il veut l’éloigner de sa tête, et il ne peut goûter un instant de repos.
(Strophe III.)
Telle est la vie cruelle et éternellement misérable qu’il endure à côté de trois autres coupables, pour avoir dérobé aux dieux et prodigué à ses convives le nectar et l’ambroisie qui l’avaient fait immortel. Si un homme espère cacher à Dieu quelqu’une de ses actions, il se trompe. Aussi les immortels rejetèrent son fils au sein de la race éphémère des hommes. Quand sa jeunesse fut dans sa fleur, et qu'un noir duvet ombragea son menton, il médita un hymen proposé à tous,
(Antistrophe III.)
et voulut obtenir du roi de Pise la glorieuse Hippodamie sa fille, il vint seul, la nuit, au bord de la blanche mer, et appela le dieu au beau trident, aux mugissements redoutables; le dieu parut à ses pieds. Il dit alors : « O Neptune, si les aimables faveurs de Cypris ont pour toi quelque charme, arrête le javelot d’airain d´Œnomaos, transporte-moi dans l’Élide sur un char rapide, et donne-moi la victoire. Déjà il a fait tomber sous ses coups treize prétendants, et il diffère l’hymen
(Épode III.)
de sa fille. Un grand péril n’est point fait pour le lâche. Et « nous, qui devons mourir, pourquoi, demeurant accroupis dans « les ténèbres, consumer une honteuse et stérile vieillesse, étrangers à toutes les gloires? Du moins, j’affronterai ce combat; c’est à toi de m’assurer le succès. » Ainsi parla Pélops ; et ces paroles ne furent point raines. Le dieu l’exauce, et lui donne un char d’or et des coursiers aux ailes infatigables.
(Strophe IV. )
Il triomphe du robuste Œnomaos, et fait entrer la jeune vierge dans sa couche ; elle lui donna six rois amis des vertus. Maintenant il reçoit de magnifiques hécatombes, et repose sur les rives de l´Alphée, dans un tombeau sans cesse honoré, près d’un autel que visite la foule des étrangers. Ainsi la gloire des fêtes olympiques rayonne au loin dans la carrière de Pélops, où viennent lutter et la vitesse des pieds et la mâle vigueur du corps : le vainqueur passe le reste de ses jours au sein d’une douce tranquillité,
(Antistrophe IV. )
récompense de ses travaux. Un bonheur toujours fidèle est pour l’homme le bien suprême. Pour moi, je veux, selon le nome équestre, couronner Hiéron d’un chant éolien : j’en ai l’assurance, je ne saurais laisser couler en capricieux détours mes hymnes glorieux pour honorer, parmi les hommes de nos jours, un autre qui réunisse mieux que lui l’amour des grandes choses et l’éclat de la puissance. O Hiéron , un dieu protecteur veille avec tendresse à l’accomplissement de tes vœux ; bientôt, s’il ne t’abandonne point, trouvant, je l’espère, pour mes chants et mes louanges une voie nouvelle
(Épode IV.)
et plus douce encore, je viendrai sur un char rapide te célébrer au pied du superbe Cronios. La muse nourrit en moi une vive et puissante inspiration; d’autres sont grands par d’autres arts. Au faîte suprême sont les rois : n’aspire point au-delà. Puisses-tu marcher le front haut durant ta vie entière, et moi-même puissé-je aussi me mêler aux vainqueurs, et, par mon génie, devenir fameux dans toute la Grèce !
↑1- Phérénice, le cheval vainqueur.
>> Olympiques II. à XIV.
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Références
<> 20/08/2025